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Tableau peinture d'une reine touareg |
Poèmes de Kourman agg-elselisu
traduit du tamacheq au français par:
Moussa Albarka et dominique Casajus.
Ghaïsha, voici l’heure où la torpeur du jour
Gagne les campements…
Et j’entonne mon chant.
L’amble de mon chameau me donne la cadence.
J’ai traversé le bois, mon âme était
paisible.
À la nuit j’ai atteint Adalak endormi ;
Tous les jeunes galants étaient rentrés chez eux.
J’ai approché sans bruit de celle qu’ils
chérissent ;
Mon chameau a fait halte en gardant le
silence
Il sait qu’en blatérant il me compromettrait.
J’ai frôlé de ma main une épaule
endormie ;
Se sentant effleurée, elle s’est repliée
Sous sa tunique, en se couvrant jusqu’à ses pieds.
« Ami, m’a t-elle dit, j’ai attendu en
vain
À l’heure où les galants devisaient avec
feu ;
Tous se
pressaient ici ; même les jeunes serfs
Riant sans retenue, étaient de l’assemblée.
Mais toi, pendant ce temps, tu as laissé
la nuit
S’assombrir doucement :
la lune et les étoiles
Glissaient vers le couchant et les vieillards dormaient.
Qu’ai-je à faire, ai-je dit, de ces vains bavardages ?
Que peut en espérer celui qui s’y consacre ?
Je m’en vais, malgré moi, aviver ta souffrance :
Je te prie d’enfourcher ton chameau bien dressé ;
Mais sache cependant, je le dis devant Dieu,
Que je
n’aime que toi et ceux qui te sont proches.
Les galants,
ce tantôt, se montraient tous anxieux
De médire sur toi – aucun ne s’en
privait.
On croyait des lions avides de ta chair
;
Voyant le sang perler, ils perdaient
tout scrupule ;
Leurs propos t’accablaient, rivalisant de haine.
Je peux imaginer leur perfide babil,
Mais laisse-les parler, ils sont tous
méprisables,
Où donc est le bâton dont ils me frapperaient ?
Dès qu’ils m’apercevront, ils fuiront
aussitôt.
[Écoute-moi plutôt,] je ne t’oublierai pas
Avant que vienne l’heure où, au fond du tombeau,
Sept ans après ma mort,
ma chair sera dissoute
Et mes os en poussière. »
Ah ! je sais maintenant
Que rien n’a plus de prix qu’un méhari
fidèle,
Dont la bosse est dressée et les flancs
sont tendus,
Pareils à une natte à la trame serrée,
Sur lequel est sanglée une selle à sa taille,
Qui sait hâter le pas, dès qu’il te voit
lever
La racine d’absegh qui te sert de cravache.
Alors, tu vas ta route, aimant celle qui
t’aime,
Le pas de ton chameau troublant seul le
silence.
In (Moussa Albaka, Dominique Casajus. Trois poèmes touaregs de la région d’Agadez. Awal (Cahiers
d’études berbères), Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1988, pp.145-163. halshs-01070999)