Sahel poésie

jeudi 28 mai 2020



Je dis hurrah! La vieille négritude
Progressivement se cadavérise
l'horizon se défait , recule et s'élargit
et voici parmi des déchirements de nuages la fulgurance d'un signe
Le négrier craque de toute part...
Son ventre se convulse et résonne ...
L'affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux fétides de l'étrange nourrisson des mers!
Et ni l'allégresse des voiles gonflées comme une poche de doublons rebondie, ni les tours joués  à la sottise dangereuse des frégates policières ne l'empêchent t'entendre la menace de ses grondements intestins

En vain pour s'en distraire le capitaine pend à sa gand'vergue le nègre le plus braillard ou le jette à la mer,  ou le livre à l'appétit de ses molosses
La négraille aux senteurs d'oignon frit retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté

Et elle est debout la négraille

La négraille assise
inattendument debout
Debout dans la cale
Debout dans les cabines
Debout sur le pont
Debout sous le soleil
Debout dans le sang
       debout
                  Et
                    Libre
debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes girant en la dérivé parfaite
et la voici :
Plus inattendument debout
debout dans le cordages
debout bout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles

Debout
            Et
               Libre
et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées.

Aimé Césaire
Extrait de  (Cahier d'un retour au pays natal),
Édition presence Africaine.

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